Legal Proceedings Report • Mar 20, 2025
Legal Proceedings Report
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Jeudi 13 février 2025 / N° 37
Commission de régulation de l'énergie
112 Décision no 08-40-23 du 20 janvier 2025 du comité de règlement et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie à l'égard des sociétés Danske Commodities A/S et Equinor ASA
146 Demandes de changement de nom (textes 146 à 153)
Décision no 08-40-23 du 20 janvier 2025 du comité de règlement et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie à l'égard des sociétés Danske Commodities A/S et Equinor ASA
NOR : CREE2504352S
Une saisine du comité de règlement des différends et des sanctions (le « CoRDiS » ou le « comité ») a été introduite par la présidente de la Commission de régulation de l'énergie (la « CRE »), et enregistrée le 20 novembre 2023, sous le numéro 08-40-23, à l'encontre des sociétés Danske Commodities A/S (la « société Danske ») et Equinor ASA (la « société Equinor »).
Cette demande est relative à la méconnaissance, par les sociétés Danske et Equinor, des dispositions de l'article 5 du règlement européen (UE) no 1227/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 25 octobre 2011 (« règlement REMIT »).
L'article L. 131-2 du code de l'énergie dispose que la CRE : « surveille, pour l'électricité et pour le gaz naturel, les transactions effectuées entre fournisseurs, négociants et producteurs, les transactions effectuées sur les marchés organisés ainsi que les échanges aux frontières ».
Le 17 mars 2021, en application de l'alinéa 1er de l'article L. 135-3 du code de l'énergie (1), le président de la CRE a désigné un agent des services de la CRE (l'« agent enquêteur »), aux !ns de procéder à une enquête a!n de déterminer si les sociétés Danske, Equinor et leurs !liales s'étaient livrées, le 1er juillet 2019 et le 6 juillet 2020, à des pratiques susceptibles de constituer des manquements aux dispositions de l'article 5 du règlement REMIT.
Par un courrier du 17 mars 2021, les sociétés Danske et Equinor ont été informées de l'ouverture de l'enquête.
Le 17 octobre 2022, la Présidente de la CRE a désigné un nouvel agent des services de la CRE, en remplacement de l'agent-enquêteur, aux mêmes !ns (aussi désigné l'« agent enquêteur »).
Par un courrier du 22 avril 2021, l'agent enquêteur a adressé à la société Danske une première demande d'informations.
Par un courrier électronique du 21 mai 2021, la société Danske a sollicité un délai supplémentaire a!n d'apporter ses éléments de réponse. Par un courrier électronique du 26 mai 2021, l'agent enquêteur a répondu favorablement à cette demande de délai supplémentaire.
Par un courrier électronique du 2 juin 2021, la société Danske a adressé à la CRE une demande de précision pour répondre à la demande d'information du 22 avril 2021. Par un courrier électronique du 3 juin 2021, l'agent enquêteur a répondu à cette demande de précision.
Par un courrier électronique du 29 juillet 2021, la société Danske a répondu à la demande d'informations du 22 avril 2021.
Par un courrier du 2 novembre 2021, l'agent enquêteur a adressé à la société Danske une deuxième demande d'informations.
Par un courrier électronique du 9 décembre 2021, la société Danske a répondu à la demande d'informations du 2 novembre 2021.
Par le courrier du 24 mai 2022, l'agent enquêteur a adressé à la société Danske une troisième demande d'informations.
Par un courrier électronique du 11 juillet 2022, la société Danske a répondu à la demande d'informations du 24 mai 2022.
Par un courrier du 14 novembre 2022, la société Danske a demandé des précisions sur la procédure d'enquête. Par un courrier électronique du 1er décembre 2022, l'agent enquêteur a répondu à la demande de précision sur la procédure d'enquête du 14 novembre 2022.
Par un courrier du 11 mai 2021, l'agent enquêteur a adressé à la société Equinor une première demande d'informations.
Par un courrier électronique du 10 juin 2021, la société Equinor a sollicité un délai supplémentaire a!n d'apporter ses éléments de réponse. Par un courrier électronique du 11 juin 2021, l'agent enquêteur a répondu favorablement à cette demande de délai supplémentaire.
Par un courrier électronique du 31 août 2021, la société Equinor, représentée par Me Paroche, cabinet Hogan Lovells LLP, a répondu à la demande d'informations du 11 mai 2021.
Par un courrier du 2 novembre 2021, l'agent enquêteur a adressé à la société Equinor une deuxième demande d'informations.
Par un courrier électronique du 14 décembre 2021, la société Equinor, représentée par Me Verney, cabinet Hogan Lovells LLP, a répondu à la demande d'informations du 2 novembre 2021.
Par un courrier du 24 mai 2022, l'agent enquêteur a adressé à la société Equinor une troisième demande d'informations.
Par un courrier électronique du 28 juin 2022, la société Equinor, représentée par Me Paroche, a répondu à la demande d'informations du 24 mai 2022.
Par un courrier du 15 novembre 2022, la société Equinor, représentée par Me Verney, a demandé des précisions sur la procédure d'enquête.
Par un courrier électronique du 16 novembre 2022, l'agent enquêteur a répondu à la demande de précision sur la procédure d'enquête du 15 novembre 2022.
Le 10 octobre 2022, l'agent-enquêteur a établi le procès-verbal no CRE-03-2021-BD, en application de l'article L. 135-12 du code de l'énergie (le « procès-verbal »).
Le procès-verbal présente, tout d'abord, la procédure suivie par la CRE ainsi que les marchés et l'entreprise concernés, avant de décrire les faits à l'origine de l'ouverture de l'enquête.
Le procès-verbal met ainsi en avant un comportement suspect des sociétés Danske et Equinor à l'occasion des enchères annuelles de capacités de transport de gaz de la France vers l'Espagne au Point d'Interconnexion Réseau (« PIR Pirineos ») tenues le 1er juillet 2019 et le 6 juillet 2020, respectivement pour les années gazières 2019-2020 et 2020-2021.
Dans le procès-verbal, l'agent enquêteur fait notamment valoir :
Sur le fondement de cette analyse et des éléments recueillis dans le cadre de l'enquête, le procès-verbal conclut que les sociétés Danske et Equinor ont méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement REMIT qui prohibent les manipulations de marché.
Par un courrier du 17 avril 2023, le procès-verbal a été noti!é aux sociétés Danske et Equinor.
Le 10 juillet 2023, la société Danske a adressé ses observations écrites concernant les manquements constatés dans le procès-verbal, a conclu à l'absence de violation du règlement REMIT et demandé à la CRE de ne pas transmettre la présente affaire au CoRDiS.
Elle a fait valoir :
Le 3 juillet 2023, la société Equinor a adressé ses observations écrites concernant les manquements constatés dans le procès-verbal, a conclu à l'absence de violation du règlement REMIT et demandé à la CRE de ne pas transmettre la présente affaire au CoRDiS.
Elle a fait valoir :
manuel et d'un atelier sur la conformité aux règles sur les abus de marché, de lignes directrices relatives à la conformité au REMIT et d'une formation e-learning au REMIT et, d'autre part, le code de conduite d'Equinor ;
Le 13 novembre 2023, la présidente de la CRE a, en application de l'article L. 134-25 du code de l'énergie, saisi le CoRDiS d'une demande de sanction à l'encontre des sociétés Danske et Equinor, en raison des manquements constatés dans le procès-verbal.
Le 20 novembre 2023, le président du CoRDiS a accusé réception de cette demande de sanction, enregistrée sous le no 08-40-23, et des pièces qui y sont annexées.
Par une décision du 27 novembre 2023, prise en application des articles L. 134-25-1 (2) et R. 134-30 (3) du code de l'énergie, le président du CoRDiS a désigné Mme Ducloz en qualité de membre du comité en charge de l'instruction (la « membre désignée »).
Le 8 décembre 2023, la membre désignée a noti!é aux sociétés Danske et Equinor une copie de la saisine du CoRDiS et de la décision de son président la désignant pour l'instruction de cette demande.
Par un courrier du 10 juin 2024, Me Willis, cabinet Bird & Bird LLP, représentant la société Danske, a demandé à la membre désignée de bien vouloir lui indiquer, dans la mesure du possible, le calendrier des prochaines étapes ou mesures procédurales relatives à cette demande de sanction.
Il résulte des dispositions des articles L. 134-25, L. 134-27 et L. 134-31 du code de l'énergie qu'en cas de manquement constaté dans les conditions prévues à l'article L. 135-12 de ce code, après l'envoi d'une noti!cation des griefs à l'intéressé qui est mis à même de consulter le dossier et de présenter ses observations écrites et orales assisté par une personne de son choix, le CoRDiS peut prononcer une sanction à l'encontre de l'auteur de ce manquement.
L'article 14 de la décision du 13 février 2019 portant adoption du règlement intérieur du CoRDiS précise que : « s'il y a lieu, le membre désigné noti!e les griefs, les sanctions encourues et la sanction qu'il entend proposer au comité de règlement des différends et des sanctions. Cette noti!cation est adressée à la personne mise en cause qui dispose d'un délai ne pouvant pas être inférieur à quinze jours pour présenter au comité de règlement des différends et des sanctions ses observations écrites ».
Il résulte de ces dispositions qu'en cas de manquement aux règles dé!nies aux articles 3, 4, 5, 8, 9 et 15 du règlement REMIT constaté dans les conditions prévues à l'article L. 135-12 du code de l'énergie, le membre désigné du CoRDiS peut noti!er des griefs à l'auteur de ce manquement, sans le mettre préalablement en demeure.
Le 27 septembre 2024, la membre désignée du CoRDiS a fait grief à la société Danske d'avoir violé les dispositions de l'article 5 du règlement REMIT qui interdisent de procéder ou d'essayer de procéder à des manipulations de marché sur les marchés de gros de l'énergie, tels que ces agissements sont dé!nis par l'article 2, paragraphe 2, du même règlement, dès lors :
suppression des multiplicateurs de prix sur le marché de capacités infra-annuelles du gaz, ce qui a, par suite, eu pour effet de !xer le prix d'un produit énergétique de gros à un niveau arti!ciel (REMIT, art. 2(2), a, ii.
La membre désignée relève que les sociétés Danske et Equinor, qui étaient les seules à participer aux enchères litigieuses, ont, par leurs demandes de réservations de capacité de transport, entraîné la congestion des enchères de capacité annuelles et, en conséquence, la suppression des multiplicateurs tarifaires sur les capacités infra-annuelles, qui ont pu ensuite être acquises à prix réduit par ces sociétés, ce que la société Danske ne conteste pas.
Elle af!rme qu'il y a ainsi lieu d'examiner si les faits reprochés à la société Danske peuvent être quali!és de « manipulation de marché » comme dé!nit par le règlement REMIT, et soutient :
Après avoir apprécié la gravité des manquements, la situation de la société Danske, l'ampleur des dommages éventuels et les avantages éventuellement retirés, la membre désignée considère qu'une sanction pécuniaire doit être prononcée à l'encontre de la société Danske, pour un montant qui devrait être compris entre 6.000.000 et 8.000.000 d'euros.
En outre, la membre désignée considère qu'eu égard aux exigences d'intérêt général qui s'attachent à ce que la décision de sanction du CoRDiS soit connue de l'ensemble des acteurs du marché de l'énergie, notamment pour prévenir la commission de faits de même nature que ceux visés par la présente procédure de sanction, le CoRDiS devrait décider que la décision de sanction à intervenir sera publiée, sous réserve des secrets protégés par la loi :
Conformément aux dispositions de l'article R. 134-32 du code de l'énergie, la société Danske a été invitée à présenter ses observations en réponse avant le 28 octobre 2024, à 12 heures et à consulter le dossier.
Le 27 septembre 2024, la membre désignée du CoRDiS a fait grief à la société Equinor d'avoir violé les dispositions de l'article 5 du règlement REMIT qui interdisent de procéder ou d'essayer de procéder à des manipulations de marché sur les marchés de gros de l'énergie, tels que ces agissements sont dé!nis par l'article 2, paragraphe 2, a, ii du même règlement, dès lors que la réservation par la société Equinor, en concertation avec sa société !liale Danske, de 1 kWh/h au premier tour des enchères de capacité annuels du gaz tenues le 1er juillet 2019 et le 6 juillet 2020, soit du volume minimum de capacité proposé à la vente, sans intention réelle d'acquérir les capacités souscrites, n'a été effectuée que pour causer la congestion du marché a!n d'entraîner l'application des règles tarifaires de suppression des multiplicateurs de prix sur le marché de capacités infra-annuelles du gaz, ce qui a, par suite, eu pour effet de !xer le prix d'un produit énergétique de gros à un niveau arti!ciel au béné!ce de Danske.
La membre désignée relève que les sociétés Equinor et Danske, qui étaient les seules à participer aux enchères litigieuses, ont, par leurs demandes de réservations de capacité de transport, entraîné la congestion des enchères de capacité annuelles et, en conséquence, la suppression des multiplicateurs tarifaires sur les capacités infra-annuelles, qui ont pu ensuite être acquises à prix réduit par ces sociétés, ce que la société Equinor ne conteste pas.
La membre désignée af!rme qu'il y a ainsi lieu d'examiner si les faits reprochés à la société Equinor peuvent être quali!és de « manipulation de marché » au regard de l'article 2(2), a, ii du règlement REMIT et soutient :
Après avoir apprécié la gravité des manquements, la situation de la société Equinor, l'ampleur des dommages éventuels et les avantages éventuellement retirés, la membre désignée considère qu'une sanction pécuniaire doit être prononcée à l'encontre de la société Equinor, pour un montant qui devrait être compris entre 3.000.000 et 4.000.000 d'euros.
En outre, la membre désignée considère qu'eu égard aux exigences d'intérêt général qui s'attachent à ce que la décision de sanction du CoRDiS soit connue de l'ensemble des acteurs du marché de l'énergie, notamment pour prévenir la commission de faits de même nature que ceux visés par la présente procédure de sanction, le CoRDiS devrait décider que la décision de sanction à intervenir sera publiée, sous réserve des secrets protégés par la loi :
Conformément aux dispositions de l'article R. 134-32 du code de l'énergie, la société Equinor a été invitée à présenter ses observations en réponse avant le 28 octobre 2024, à 12 heures et à consulter le dossier.
Par un courrier du 2 octobre 2024, Me Willis a sollicité une extension au 11 novembre 2024 du délai imparti à la société Danske pour la production des observations en réponse aux griefs qui ont été noti!és le 27 septembre 2024.
Par un courrier du 3 octobre 2024, Me Le Bihan-Graf et Me Paroche ont sollicité un délai supplémentaire d'un mois pour la production des observations en réponse aux griefs qui ont été noti!és à la société Equinor le 27 septembre 2024, soit jusqu'au 29 novembre 2024.
Par un courrier du 7 octobre 2024, les conseils de ces sociétés ont été informé qu'une prorogation du délai était accordée jusqu'au 11 novembre 2024, à 12 heures.
Par un courrier électronique du 4 octobre 2024, Me Gardellin, cabinet Hogan Lovells, représentant également la société Equinor, a demandé à consulter les pièces du dossier au sein des locaux de la CRE.
La consultation et le téléchargement des pièces du dossier se sont déroulés dans les locaux de la CRE le 8 octobre 2024.
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Par un courrier électronique du 1er octobre 2024, Me Desprez, cabinet Bird & Bird LLP, représentant également la société Danske, a sollicité l'accès aux pièces du dossier.
Par un courrier électronique du 4 octobre 2024, le greffe du CoRDiS a invité Me Willis et Me Desprez, ainsi que Mme Troletti, cabinet Bird & Bird LLP, à utiliser la plateforme de transfert sécurisé de !chiers TransfertPro pour télécharger l'ensemble des pièces du dossier.
Par un courrier électronique du 9 octobre 2024, le greffe du CoRDiS a informé ces personnes avoir procédé au téléversement d'éléments additionnels, à savoir les observations de la société Equinor en réponse au procès-verbal, accompagnés des annexes 1 à 7.
Par un courrier électronique du 11 octobre 2024, Me Willis a informé le greffe de son intention de prendre contact avec les conseils de la société Equinor avant le téléchargement de ces éléments additionnels et a con!rmé avoir procédé le 7 octobre 2024 au téléchargement des pièces initialement rendues accessibles sur la plateforme de transfert sécurisé de !chiers TransfertPro.
Par un courrier électronique du 11 octobre 2024, Me Willis a interrogé le président du comité sur la faculté, pour la société Danske, de faire entendre, en vertu des dispositions de l'article L. 134-31 du code de l'énergie, des témoignages oraux lors de la séance du comité et sur l'imputation du temps d'audition sur le temps alloué à la société Danske pour produire ses observations orales.
Par un courrier du 21 octobre 2024, le président du comité a précisé qu'il était loisible à la société Danske de faire intervenir, au cours de la séance, toute personne susceptible de l'assister et que, à cette !n, la durée des auditions ne serait pas décomptée du temps accordé aux représentants et aux conseils de la société Danske pour produire leurs observations orales.
A!n d'assurer le bon déroulement de la séance, Me Willis a été invité à communiquer la liste des personnes que la société Danske souhaiterait faire intervenir au soutien de ses observations orales avant le 12 novembre 2024, à 12 heures.
Par un courrier électronique du 12 novembre 2024, Me Desprez a informé le président du comité que la société Danske ne ferait pas intervenir de témoins lors de la séance.
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Par un courrier du 10 décembre 2024, Me Willis a demandé au président du comité de bien vouloir prononcer le huis clos lors de la séance, au motif que la présentation orale des arguments de la société Danske entraînerait nécessairement la divulgation d'informations con!dentielles et couvertes par le secret des affaires.
Me Willis a également demandé qu'il soit accordé à la société Danske un temps de parole de 30 minutes minimum et a souhaité savoir s'il lui serait possible de projeter des diapositives sur un écran pour illustrer et faciliter la compréhension de certains éléments qui seraient présentés oralement.
Par un courrier électronique du 12 décembre 2024, la société Danske a été informée, en sus du temps de parole qu'il lui avait été alloué, qu'il lui était loisible de projeter des diapositives sur les écrans de la salle dans laquelle se déroulerait la séance du comité. La procédure à suivre lui a été communiquée par courrier électronique du 16 décembre 2024.
Par un courrier électronique du 16 décembre 2024, le président du CoRDiS a proposé à la société Equinor, conformément à sa demande du 12 décembre 2024, de respecter un temps de parole de 20 minutes pour présenter ses observations orales.
Par des observations en réponse à la noti!cation des griefs, enregistrées le 11 novembre 2024, la société Danske :
Après avoir présenté les différentes stratégies de négoce (4) et de demande de réservation desdites capacités, objets de l'enquête, la société Danske décrit, suivant son acquisition par la société Equinor en février 2019, comment sont réparties les activités gazières entre ces sociétés. Elle af!rme que diverses mesures ont été adoptées, comme le mémorandum « Gas 2030 NG DC split », le « modèle de démarcation » et les « Règles d'Engagement », en vue de prévenir le partage d'informations commercialement sensibles entre ces sociétés et de préserver leur autonomie.
La société Danske fait ensuite valoir, en réponse à la noti!cation des griefs, les moyens et arguments suivants :
En!n, la société Danske soutient que la sanction proposée repose sur une appréciation erronée de son importance, et de celle du groupe Equinor, dont les chiffres d'affaires étaient moins importants au moment des faits, des dommages causés aux marchés et aux consommateurs, qui sont, comme l'atteste les conclusions d'un rapport de consultant, surestimés par la CRE, et des avantages tirés par elle du comportement litigieux. La société Danske a mis en œuvre des mesures pour s'assurer du bon respect du règlement REMIT.
Elle ajoute que le montant de la sanction proposé est disproportionné au regard de la nature et de la gravité du manquement allégué, qui, s'il était établi, est en partie causé par une défaillance de marché, n'a eu lieu que deux fois et ne concerne qu'un volume très limité de la capacité annuelle concernée par les deux enchères (moins de 1 % de la capacité totale offerte pour l'ensemble de l'année gazière sur cette frontière).
Par ses observations en réponse à la noti!cation des griefs, enregistrées le 8 novembre 2024, la société Equinor demande au CoRDiS de bien vouloir :
– constater que la société Equinor n'a commis aucun manquement au règlement REMIT ;
Après avoir présenté les faits et la procédure, la société Equinor relevant en particulier que le délai accordé par le Président du CoRDiS pour présenter ses observations en réponse à la noti!cation des griefs expirait un jour férié et que la consultation des pièces du dossier avait été !xée un mois seulement avant la !n du délai imparti pour déposer ses observations, la société Danske fait valoir, sur le cadre juridique applicable, les moyens et arguments suivants :
Ensuite, sur l'appréciation des faits par la membre désignée, la société Danske soutient :
entre deux personnes ne revêt pas une valeur probante suf!sante pour établir l'existence d'un partage d'informations privilégiées entre ces deux personnes.
En!n, la sanction proposée par la noti!cation des griefs procède d'une méconnaissance du principe de proportionnalité en ce que ni le règlement REMIT, ni le code de l'énergie ne prévoient la prise en compte de l'atteinte ou des dommages causés au marché, qui est donc inopérant, le seul élément d'appréciation étant la réparation du préjudice causé aux consommateurs qui, devant être établi sur des éléments concrets et précis, doit être écarté puisqu'il n'est ni direct ni signi!catif.
La société Equinor soutient que la noti!cation des griefs repose sur une appréciation erronée de son caractère dissuasif en appréciant le montant de la sanction au regard d'un élément intentionnel qui n'est, en l'espèce, pas établi. Elle ajoute que ne sont démontrés ni les préjudices aux marchés ou aux consommateurs !nals, ni les gains potentiels, direct ou indirect, tirés par elle, et que n'est pas considéré le critère portant sur la gravité du grief invoqué.
La société Equinor conclu en af!rmant qu'à défaut de pouvoir lui in!iger à une sanction pécuniaire, le CoRDiS ne saurait prononcer une mesure de publication de sa décision.
Vu :
Les sociétés Danske et Equinor ont été régulièrement convoquées à la séance du CoRDiS du 18 décembre 2024, composé de M. Tuot, président, Mme Poillot-Peruzzetto, Mme Salomon et M. Seban, membres, en présence de :
A l'ouverture de la séance, compte tenu des demandes de huis clos formées par les sociétés Danske et Equinor, les conseils respectifs ont été interrogés par le président du CoRDiS, et lui ont con!rmé ces demandes. Dans ces conditions, le CoRDiS a décidé que la séance se tiendrait à huis clos, portes fermées, hors de la présence du public. Outre les représentants et conseils des sociétés Danske et Equinor, dûment identi!és, ont assisté à la séance, sur autorisation du président du comité, des agents des services de la CRE qui sont tenus au secret professionnel.
De plus, le président du CoRDiS, ayant rappelé que la séance se poursuivait en présence, d'une part, des représentants et conseils de la société Danske et, d'autre part, des représentants et conseils de la société Equinor, a demandé à ces sociétés de faire part de leurs éventuelles objections à la présence aux débats oraux des représentants et conseils de l'autre société.
A ce titre, les sociétés ont été informées par le président du CoRDiS qu'il leur serait loisible d'accepter ou de refuser intégralement la présence de l'un ou de plusieurs représentants de l'autre société lors des débats oraux la concernant et que l'une ou l'autre de ces sociétés pourrait également demander la suspension de la séance, tout au long de son déroulement, si elle souhaitait présenter des observations orales sur un point particulier en dehors de la présence de l'autre.
Aucune objection ni observation n'ayant été formulée et les représentants et conseils des personnes mises en cause y ayant expressément acquiescé, la séance s'est déroulée dans cette con!guration.
Après avoir entendu :
Les représentants des sociétés Danske et Equinor, à qui le président du CoRDiS a, dès l'ouverture de la séance, noti!é leur droit de garder le silence, conformément à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ont été invités à reprendre la parole en dernier.
Les personnes mises en causes ont renoncé au huis clos l'une à l'égard de l'autre.
Le CoRDiS en a délibéré, après que la membre désignée, la rapporteure, les représentants et conseils des sociétés Danske et Equinor, personnes mises en cause, et les agents des services se sont retirés.
La société Danske, créée en 2006, est une société de négoce d'énergie, au niveau international. Elle négocie des produits liés à l'énergie sur les marchés de gros, tels que des produits liés au gaz naturel.
La société Equinor ASA, anciennement dénommée Statoil, est une compagnie norvégienne d'énergie pétrolière, de gaz naturel, et d'énergies renouvelables, fondée en 1972. Il s'agit de la plus grande entreprise de Norvège avec environ 21 000 employés.
Le 6 juillet 2018, la société Danske a annoncé of!ciellement son rachat par la société Equinor pour un montant de 400 millions d'euros. L'acquisition a pris effet le 1er février 2019. Depuis cette date, la société Danske est une !liale contrôlée à 100 % par la société Equinor.
Pour s'approvisionner en gaz naturel, les acteurs intervenant sur l'ensemble ou sur une partie de la chaîne gazière recourent aux marchés de gros. Les échanges peuvent se faire de gré à gré ou par le biais du marché organisé.
Sur le marché de gros du gaz naturel sont distingués : les produits au comptant (spot), qui permettent aux expéditeurs d'équilibrer et d'optimiser à court terme leur portefeuille, qui intègrent notamment des produits journaliers (day-ahead), infra-journaliers (whinin day) et week-end, et les produits à terme (ou futures) visant à conclure des contrats à terme pour se couvrir contre les risques du marché spot.
Sur le territoire français, l'ensemble du réseau de transport de gaz naturel est regroupé au sein d'une zone de marché unique d'entrée et de sortie : la Trading Region France (« TRF »). Sur le territoire espagnol, l'ensemble du réseau de transport de gaz naturel est également regroupé au sein d'une zone de marché unique, le Mercado Ibérico del Gas (« MIBGAS ») qui comprend une zone unique d'équilibrage opérée par le gestionnaire de réseau de transport espagnol, la société Enagâs SA (la société « Enagas »).
Les zones de marché sont des hubs au sein desquels les échanges !nanciers relatifs à une zone d'équilibrage vont être effectués. Pour la France il s'agit du Point d'Echange de Gaz (« PEG ») et pour l'Espagne, du Punto Virtual de Balance (« PVB »).
Pour transiter d'une zone d'équilibrage à l'autre, le gaz emprunte un point d'interconnexion réseau (« PIR ») qui est un point virtuel d'échange. Le règlement (UE) 2017/459 de la Commission du 16 mars 2017, établissant un code de réseau sur les mécanismes d'attribution des capacités dans les systèmes de transport de gaz (Capacity Allocation Mecanism ; « code CAM ») s'applique sur tous les PIR internes à l'Union européenne.
Le PIR qui relie les zones PEG et PVB s'appelle le PIR Pirineos, dont les capacités sont commercialisées sous forme d'enchères sur la plateforme européenne « PRISMA », selon le calendrier établi par le Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport de gaz (European Network of Transmission System Operators for Gas ou « ENTSOG »).
Les capacités annuelles de transport sont mises en vente sur la plateforme PRISMA, le premier lundi du mois de juillet (depuis 2018), selon un mécanisme d'enchère ascendante tel que prévu par l'article 17 du code CAM. La quantité de capacité proposée aux enchères annuelles est publiée un mois avant leur déroulement.
Les produits annuels sont commercialisés plusieurs années à l'avance, tant que l'ensemble de la capacité proposée n'est pas souscrit, tandis que les produits infra-annuels sont mis en vente uniquement pour l'année suivante ou l'année en cours.
A!n d'apporter plus de stabilité sur le marché, les délibérations tarifaires de la CRE incitent les expéditeurs à réserver des capacités annuelles, en prévoyant des multiplicateurs tarifaires pour majorer le prix des capacités infra-annuelles (5). En principe, le prix de réserve pour une enchère mensuelle, quotidienne ou infra-journalière sera renchéri de 50 % par rapport au prix de réserve des enchères annuelles, et celui d'une enchère trimestrielle sera renchéri de 33 %.
Cependant, dans les cas où la demande de capacités annuelles dépasse l'offre lors du premier tour de l'enchère, ce qui ne peut se produire que si au moins deux acteurs participent aux enchères, le point d'interconnexion est considéré comme « congestionné » pour l'enchère annuelle. Pour éviter de renchérir le coût de souscription des capacités par les expéditeurs, les délibérations tarifaires de la CRE prévoient, dans ces cas, la suppression des multiplicateurs tarifaires pour les capacités infra-annuelles.
Les sociétés Danske et Equinor ont été les seules à participer aux enchères annuelles de capacité tenues les 1 er juillet 2019 et 6 juillet 2020 pour, respectivement, les années gazières 2019-2020 et 2020-2021. Elles ont formulé des demandes totales de capacité de transport supérieures à la quantité offerte aux premiers tours des enchères. Plus précisément, la société Danske a demandé, au premier tour des enchères litigieuses, la totalité de l'offre disponible, soit 82.286 kWh/h tandis que la société Equinor a demandé le volume minimal, soit 1 kWh/h.
Aussi, lors de ces années gazières, le PIR Pirineos a été considéré comme « congestionné » à la suite de la saturation de la demande au premier tour des enchères, ce qui a activé le mécanisme de suppression des multiplicateurs tarifaires prévu par les délibérations de la CRE, diminuant le prix d'acquisition des capacités infraannuelles.
Pourtant, alors que les prix d'enchères avaient augmenté de seulement 1 % entre les premiers et les deuxièmes tours et de 0,2 % entre les premiers et les troisièmes tours, la société Danske a ensuite, lors des deux années examinées, formé des demandes signi!cativement inférieures aux deuxièmes et troisièmes tours d'enchère, égales à 1 kWh/h en 2019 et à 0 kWh/h en 2020. La société Equinor a quant à elle maintenu ses demandes à 1 kWh/h aux tours d'enchères suivants pour ces années.
A l'issue des troisièmes tours d'enchères, les offres ainsi demandées ont été attribuées de telle sorte que les ventes effectivement réalisées lors des enchères de capacités annuelles se sont avérées pratiquement nulles pour ces années (2 kWh/h en 2019 et 1 kWh/h en 2020).
C'est dans ce contexte que le président de la CRE, a décidé d'ouvrir une enquête visant à établir si les sociétés Danske et Equinor et leurs !liales s'étaient ou non livrées à des pratiques susceptibles de constituer des manquements aux dispositions de l'article 5 du règlement REMIT eu égard à leurs demandes aux enchères au PIR Prineos des 1er juillet 2019 et le 6 juillet 2020.
En application des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 134-25 du code de l'énergie, « Le comité de règlement des différends et des sanctions peut […] sanctionner les manquements aux règles dé!nies aux articles 3, 4, 5, 8, 9 et 15 du règlement (UE) no 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie ou tout autre manquement de nature à porter gravement atteinte au fonctionnement du marché de l'énergie, […] qu'il constate de la part de toute personne concernée, dans les conditions !xées aux articles L. 134-26 à L. 134-34 ».
L'article 5 du règlement REMIT dispose qu'il « est interdit de procéder ou d'essayer de procéder à des manipulations de marché sur les marchés de gros de l'énergie ».
Le marché de gros de l'énergie est dé!ni à l'article 2(6) du règlement REMIT comme « tout marché de l'Union sur lequel des produits énergétiques de gros sont négociés ».
Les produits énergétiques de gros comprennent, au sens de l'article 2(4) du règlement REMIT : « les contrats et produits dérivés suivants, indépendamment du lieu et de la façon dont ils sont négociés : (…) c) les contrats relatifs au transport d'électricité ou de gaz naturel dans l'Union ; (…). »
La manipulation de marché est dé!nie à l'article 2(2) du règlement REMIT comme :
« a) Le fait d'effectuer toute transaction ou d'émettre tout ordre pour des produits énergétiques de gros qui :
i) Donne ou est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le prix des produits énergétiques de gros ;
ii) Fixe ou tente de !xer, par l'action d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le prix d'un ou plusieurs produits énergétiques de gros à un niveau arti!ciel à moins que la personne ayant effectué la transaction ou émis l'ordre établisse que les raisons qui l'ont poussée à le faire sont légitimes et que cette transaction ou cet ordre est conforme aux pratiques de marché admises sur le marché de gros de l'énergie concerné ; ou
iii) Recourt ou tente de recourir à un procédé !ctif ou à toute autre forme de tromperie ou d'arti!ce, qui donne, ou est susceptible de donner, des indications fausses ou trompeuses concernant la fourniture, la demande ou le prix de produits énergétiques de gros […] ».
Les dispositions du règlement REMIT sont éclairées par les considérants de ce règlement.
Le considérant 13 du règlement REMIT dispose que : « Les manipulations des marchés de gros de l'énergie supposent que des actions menées par des personnes provoquent arti!ciellement une augmentation des prix vers un niveau qui ne se justi!e pas par les forces du marché de l'offre et de la demande, notamment la disponibilité réelle de la capacité de production, de stockage ou de transport, et la demande. » (emphase ajoutée) et, parmi les exemples de formes que peuvent prendre les manipulations de marché, cite « le placement et le retrait de faux ordres ».
Le considérant 14 du règlement REMIT ajoute que : « Au nombre des exemples de manipulation, ou de tentative de manipulation de marché, !gure le fait, pour une personne ou plusieurs personnes, d'agir de manière concertée pour s'assurer une position décisive sur l'offre ou la demande d'un produit énergétique de gros, ce qui a, ou est susceptible d'avoir pour effet, la !xation directe ou indirecte des prix, ou la création d'autres conditions de transaction inéquitables ; et l'offre, l'achat ou la vente de produits énergétiques de gros dans le but, l'intention ou l'effet d'induire en erreur les acteurs du marché en agissant sur la base des prix de référence. » (emphase ajoutée) .
Les dispositions du règlement REMIT sont également éclairées par les orientations non-contraignantes de l'ACER, conformément à l'article 16 du règlement REMIT qui dispose que cette agence « publie, le cas échéant, des orientations non contraignantes sur l'application des dé!nitions énoncées à l'article 2 ». Ces orientations fournissent des illustrations des pratiques susceptibles de constituer des manipulations de marché au sens du règlement REMIT, auxquelles le comité peut, sans y être tenu ni s'en estimer lié, se référer.
En!n, le considérant no 31 du règlement REMIT indique que « Le présent règlement ne porte atteinte ni aux règles nationales sur le niveau de preuve requis ni à l'obligation des autorités de régulation nationales et des juridictions des Etats membres d'établir les faits pertinents d'une affaire, pour autant que ces règles et obligations sont compatibles avec les principes généraux du droit de l'Union. ».
Ainsi la pratique décisionnelle constante du CoRDiS le conduit à af!rmer qu'il lui appartient « d'établir les faits pertinents de l'espèce en énonçant les motifs l'ayant conduite à considérer que les faits reprochés à la société en cause répondent à cette quali!cation. » avant d'ajouter que de tels faits « peuvent être regardés comme établis dès lors que le comité détaille un faisceau d'indices concordants, en l'espèce un ensemble de comportements combinés et répétitifs, permettant de retenir une présomption de manquement au règlement REMIT. Cette présomption peut ensuite être combattue par ladite société, à laquelle il appartient d'apporter tous éléments de preuve propres à démontrer la légitimité de son comportement sur le marché, en contredisant les indices retenus, en donnant de son comportement une justi!cation différente, notamment en réunissant à son tour d'autres indices permettant d'in!rmer la position du comité et d'établir que les agissements contestés ne sont pas des manquements » (décision no 01-40-19, 19 décembre 2019).
Le Conseil d'Etat a con!rmé cette interprétation en relevant que « l'infraction de manipulation de marché est caractérisée dès lors que la transaction effectuée ou l'ordre émis est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le prix des produits énergétiques de gros, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si le comportement incriminé a effectivement produit cet effet ni s'il procède d'une intention manipulatoire. En particulier, une manipulation de marché peut être établie sur la base d'un faisceau d'indices concordants tirés de la combinaison ou de la réitération de comportements susceptibles de donner des indications trompeuses aux autres acteurs du marché. » et qu'« au cas d'espèce, les six types de comportements suspects (…) qui ont été analysés au regard des conditions concrètes de fonctionnement du marché du PEG Sud, permettaient, compte tenu de leur combinaison ainsi que de leur réitération, d'établir que la société [X] avait émis des ordres de vente sans avoir l'intention de les exécuter, ce qui était susceptible de conduire à des conditions de transaction avantageuses à l'achat en créant l'apparence arti!cielle d'une offre abondante, sans qu'il soit nécessaire de démontrer que ce comportement n'était explicable que par une manipulation de marché, à l'exclusion d'autres explications plausibles. En se fondant sur la réunion de tels éléments pour caractériser ce manquement et en relevant, au regard de ces constats, que la société ne démontrait pas la cohérence et la rationalité économique de ses interventions, le comité n'a ni commis d'erreur de droit, ni méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve et le principe de présomption d'innocence. » (6) (emphase ajoutée).
Ainsi que le rappelle le procès-verbal et la noti!cation des griefs, l'enquête portait sur des échanges de produits sur le marché de capacités de transport annuelles du gaz de la France vers l'Espagne, négociés sur la plateforme PRISMA, et plus spéci!quement sur les contrats annuels portant sur ces capacités qui y sont négociés.
Par conséquent, les produits analysés lors de l'enquête constituent des produits énergétiques de gros au sens des dispositions de l'article 2(4), c du règlement REMIT.
Les transactions effectuées et les ordres émis par les sociétés Equinor et Danske relatifs à ces produits entrent par conséquent dans le champ d'application du règlement REMIT, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la société Danske.
La société Equinor allègue que la dé!nition d'une manipulation de marché prévue par l'article 2(2), a, ii du règlement REMIT impose, à peine d'inapplicabilité dudit règlement, que le comportement réprimé ait pour !nalité un « motif purement économique », c'est à dire de nature à procurer un pro!t immédiat à son auteur. Elle soutient que ses demandes de réservation répondaient à la nécessité réglementaire d'avoir réservé des capacités minimales pour être in !ne autorisée à accomplir des transactions sur le marché espagnol. Répondant ainsi, selon elle, à une exigence réglementaire, elle n'agissait pas dans un but strictement économique. Le comité relève cependant que, à supposer fondée l'interprétation des conditions d'accès au marché espagnol de la société Equinor, le règlement REMIT ne comporte aucune limitation de la dé!nition des agissements qu'il réprime les réduisant à la poursuite exclusive d'un « but économique » en vue d'un avantage direct ou d'un pro!t immédiat. Tout au contraire, comme indiqué ci-dessus, le règlement REMIT ne comporte aucune exigence ni quant à l'effectivité du résultat des ordres passés ou transactions émises, ni quant aux motifs ou buts les ayant inspirés, ne les dé!nissant que par leurs caractéristiques intrinsèques. Le moyen de la société Equinor ne peut donc qu'être écarté.
En tout état de cause, à le supposer établi et pertinent, le motif dont se prévaut la société Equinor ne saurait, être regardé comme un motif de nature non économique dans la mesure où cette société a af!rmé, à plusieurs reprises, que la détention de capacité avait pour but de garantir son accès à la plateforme SL-ATR a!n de pouvoir effectuer des nominations et ainsi de vendre du gaz dans le système gazier espagnol, c'est-à-dire en vue de tirer un béné!ce ou de pro!ter de l'économie qui pourraient résulter desdites ventes.
8.5.2. Sur la caractérisation d'une manipulation de marché au sens de l'article 2(2), a, i du règlement REMIT
La noti!cation des griefs reproche à la société Danske d'avoir commis une manipulation de marché prohibée par l'article 5 du règlement REMIT, telle que dé!nie à l'article 2(2), a, i du même règlement.
Comme exposé dans les orientations non contraignantes de l'ACER précédemment mentionnées, en application de l'article 2(2), a, i du règlement REMIT, le caractère non authentique de la transaction passée ou de l'ordre émis est constitutif d'une manipulation de marché.
Il convient, dès lors de rechercher si un tel manquement est caractérisé en l'espèce.
Il ressort de l'ensemble des dispositions précitées qu'un acte non-authentique peut s'entendre, au sens du règlement REMIT, de toute transaction passée ou tout ordre émis, relatifs à des produits énergétiques de gros, pour un mobile dissimulé et illicite qui, excédant l'apparent mobile licite, en constitue la !nalité déterminante.
S'agissant des réservations de capacités par la société Danske lors de l'enchère qui s'est tenue en 2019, à hauteur de 82.286 kWh/h, soit la capacité maximale pouvant être réservée, le document intitulé « Yearly Auction Strategy 2019 », communiqué par elle-même (annexe 1) indique expressément que celle-ci « [voulait] déposer une demande pour le volume complet pour [s'assurer] que la capacité sera vendue avec une augmentation de prix » et qu'elle était, à ce titre, disposée « à subir une légère perte sur cette capacité, du fait que le spread est inférieur au tarif, a!n de congestionner le tarif » sa stratégie de réservation des capacités consistant à « s'assurer que la capacité soit vendue avec une augmentation de prix, c'est pourquoi [elle restera] dans l'enchère pendant deux tours ». De plus, lors de l'enchère qui s'est tenue en 2020, il résulte du document communiqué par la société Danske à l'agent-enquêteur, dans un courrier du 29 juillet 2021, intitulé « annexe 6 Strategy 2020 » (7), qu'une offre groupée était déposée par la société Danske pour congestionner les tarifs (« Bid for bundled to get congestions »). Il ressort ainsi, matériellement et directement, de ce document que le mobile véritable des réservations de la personne mise en cause, aux premiers tours des enchères litigieuses, n'était pas l'acquisition de capacités annuelles au PIR Pirineos mais la diminution du prix des capacités infra-annuelles, en saturant les premiers tours des enchères annuelles litigieuses. Le comité relève qu'après sa participation initiale lui ayant permis d'obtenir ce résultat, la société s'est abstenue de déposer, aux seconds tours des enchères, de nouvelles demandes de réservation pour le volume maximal qu'elle avait demandé lors des premiers tours des enchères, sans être en mesure de justi!er cette attitude de manière convaincante, ce qui con!rme le motif unique de son action, sans rapport avec une volonté réelle de disposer effectivement de capacités annuelles.
Si lors des enchères litigieuses, la société Danske avait effectivement acquis les capacités annuelles réservées aux premiers tours, ce qui, en tout état de cause, n'a pas été le cas, ces acquisitions ne constituaient pas le mobile qui a motivé lesdites réservations puisque ces dernières sont présentées, par la société Danske elle-même, comme le moyen de s'assurer de la réalisation du but réellement poursuivi, à savoir la suppression des multiplicateurs tarifaires, et ce en vue d'en retirer un gain sur le marché des capacités infra-annuelle.
Dès lors, le fait que les capacités annuelles réservées et non acquises auraient pu avoir une valeur, comme l'invoque la société Danske à l'appui du rapport d'un consultant qui se contente d'énoncer des principes économiques généraux non pertinents en l'espèce, n'est pas de nature à combattre la preuve matérielle et directe que cette valorisation future et hypothétique n'est pas la raison qui a justi!é les réservations desdites capacités annuelles aux premiers tours des enchères en cause. La circonstance que, si ces capacités avaient été acquises, la société aurait cherché à acquérir des volumes de gaz pour les vendre sur le marché espagnol, pour utiliser ces capacités, est sans incidence sur cette appréciation.
Il en résulte que le comité regarde comme établi que les réservations, aux premiers tours des enchères litigieuses, par la société Danske, revêtaient un caractère non authentique.
En conséquence, est retenu à l'encontre de la société Danske, en raison de ses réservations de capacités annuelles lors des premiers tours des enchères litigieuses, le manquement à l'article 5 du règlement REMIT de manipulation de marché au sens de l'article 2(2), a, i dudit règlement.
8.5.3. Sur la caractérisation d'une manipulation de marché au sens de l'article 2(2), a, ii du règlement REMIT
La noti!cation des griefs reproche aux sociétés Danske et Equinor d'avoir, par leur action concertée, commis une manipulation de marché prohibée par l'article 5 du règlement REMIT, tel que dé!nie à l'article 2(2), a, ii.
Il convient, après avoir présenté les modes de preuve admissibles, de rechercher si un tel manquement est caractérisé.
Il résulte des éléments précédemment mentionnés que, conformément à la pratique décisionnelle du comité, telle que validée par le Conseil d'Etat, à défaut de preuve matérielle et directe, les manipulations de marché peuvent être établies sur la base d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, tiré de la combinaison de faits avérés.
Contrairement à ce qu'ont soutenu les personnes mises en cause dans leurs observations en réponse à la noti!cation des griefs, ainsi que lors de la séance, en particulier la société Equinor, la !abilité du faisceau d'indices s'apprécie dans sa globalité et non indice par indice, pris isolément. Lorsque le faisceau d'indice est constitué en tout ou partie d'éléments matériels, chaque indice doit reposer sur des faits non inexacts. Toutefois, ne constituant que des indices destinés à rapporter une preuve par leur regroupement, aucun d'entre eux ne doit être regardé comme une preuve autonome qui doit être établie. La preuve, qui doit être rapportée par le comité, résulte de la concordance des indices, quelle que soit la valeur de chacun, qui, seuls, ne sont par essence, pas de nature à rapporter la preuve irréfutable d'un manquement au règlement REMIT mais, ensemble, permettent d'établir un manquement au règlement.
Il en va d'autant plus ainsi s'agissant des actions concertées, visées à l'article 2(2), a, ii du règlement REMIT : leur nature, par essence secrète, accroît l'asymétrie d'information et rend l'obtention de preuves directes et matérielles plus dif!cile.
Alors que les personnes mises en cause, soutiennent qu'il y a lieu de raisonner par analogie avec les règles applicables en matière de droit de la concurrence sur la prohibition des ententes, visées aux articles 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du code de commerce, le comité relève que les notions issues du règlement REMIT sont autonomes et appellent une mise en œuvre dans le cadre tracé par le règlement.
Dès lors, tant la preuve des manipulations de marché, telles que dé!nies par l'article 2(2), a du règlement REMIT, que celle d'une action concertée, visée à l'article 2(2), a, ii du règlement, peuvent résulter d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants.
Il appartient ensuite, conformément à l'article 2(2), a, ii du règlement REMIT, aux personnes mises en cause de démontrer, cumulativement, que les raisons les ayant poussées à effectuer les transactions ou émettre les ordres litigieux sont légitimes et que lesdits transactions ou ordres sont conformes aux pratiques de marché admises (« Admitted Market Practices », ou « AMP ») sur le marché de gros de l'énergie concerné.
Dès lors, que cette règle est clairement énoncée par les dispositions du règlement REMIT, la société Danske n'est pas fondée à soutenir qu'il reviendrait en outre au comité de démontrer que le comportement reproché serait contraire aux AMP. C'est au contraire à elle de prouver, par tous moyens, que son comportement relèverait exclusivement d'une AMP.
En premier lieu, ainsi qu'il est soutenu dans la noti!cation des griefs à l'appui des constatations du procèsverbal, l'enquête et l'ensemble des échanges avec les sociétés qui se sont poursuivis jusqu'à l'audience n'ont permis d'établir aucun avantage ou intérêt résultant des opérations critiquées (réservations, par les personnes mises en cause, de volumes aux premiers tours des enchères de capacité annuelles de gaz à la frontière franco-espagnole sur le PIR Pirineos, organisées sur la plateforme européenne PRISMA, qui se sont tenus les 1er juillet 2019 et 6 juillet 2020), sinon la suppression des multiplicateurs tarifaires applicables sur le marché des capacités infraannuelles du gaz, réduisant ainsi les coûts de commercialisation de leurs ventes sur le marché espagnol.
D'une part, s'agissant des réservations de capacités par la société Danske, à hauteur de 82.286 kWh/h, soit la capacité maximale pouvant être réservée, le caractère non-authentique de ses réservations, qui résulte des propres déclarations de la société Danske, énonçant qu'elle était déterminée, lors des enchères litigieuses, à acquérir des capacités annuelles a!n de s'assurer de la suppression des multiplicateurs tarifaires, en vue de faire diminuer le prix des capacités infra-annuelles.
D'autre part, s'agissant des réservations de capacités par la société Equinor, à hauteur de 1 kWh/h, soit la capacité minimale pouvant être réservée, il résulte du dossier que celles-ci ne correspondaient à aucun besoin physique réel, ce qui a été con!rmé par la société Equinor. De plus, compte tenu du caractère insigni!ant des volumes réservés et obtenus, ceux-ci ne pouvaient constituer un actif pouvant être par suite valorisé de telle sorte que les réservations de la société Equinor sont dépourvues de tout motif, autre que celui de constituer avec l'autre société un concert de deux personnes, lequel a permis en l'espèce de congestionner le marché des capacités annuelles.
En deuxième lieu, l'instruction a permis de collecter des éléments permettant d'attester que les personnes mises en cause étaient, au moment des faits reprochés et pendant le déroulement de l'enquête, matériellement en capacité de se concerter, et qu'elles ont effectivement, échangé des informations portant sur le marché gazier.
Ces échanges d'informations ont été facilités par le fait que les règles déontologiques appliquées par les personnes mises en cause, et invoquées plus particulièrement par la société Danske, comportent des développements relatifs aux échanges d'informations entre elles et au fonctionnement des enchères au PIR Pirineos aussi succincts que généraux. Elles ne comportent aucune interdiction expresse de tout échange sur les stratégies d'enchères, alors mêmes que celles-ci sont par nature des informations con!dentielles, ce que les règles n'indiquent pas, pas plus, généralement, que le moindre élément topique. Dès lors, les personnes mises en cause ne sont pas fondées à soutenir que l'existence de ces règles générales et impersonnelles ont pu être, à elle seules, de nature à prévenir les éventuels échanges d'informations con!dentielles.
Il est aussi établi que les salariés des personnes mises en cause partageaient régulièrement des informations et des documents de travail dédiés à l'estimation de l'offre et de la demande du gaz naturel dans le monde, en Europe et plus spéci!quement en France et en Espagne ainsi que des retours d'expérience lors des réunions intitulées « Gas Analysis Network » organisées toutes les deux semaines entre les analystes et collaborateurs de différents niveaux hiérarchiques de ces deux sociétés, dont des personnes décisionnaires et/ou participant directement à la dé!nition des différentes stratégies de négoce sur les marchés du gaz. En sus, ces partages d'informations étaient encore davantage facilités puisqu'au moins […].
Il découle de ces différents éléments que les personnes mises en causes béné!ciaient d'un cadre propice aux échanges, c'est-à-dire qu'elles disposaient du moyen pour parvenir au résultat de coordination de leurs stratégies d'enchères. Ce n'est pas, contrairement à ce qu'allèguent les sociétés l'existence de liens capitalistiques, en tant que tels, qui constitue un indice de collusion, mais le fait que ce n'est qu'après la prise de contrôle de la société Danske par la société Equinor, qu'un changement de comportement de la société Danske s'est opéré. Les sociétés ne sauraient donc sur ce point utilement soutenir que la répression du comportement poursuivi par le CoRDiS constitue un abandon de sa pratique décisionnelle.
En troisième lieu, si la société Danske soutient que les enchères de capacités ont été congestionnées en 2014, 2016 et 2018 et que tout acteur de marché aurait raisonnablement pu déduire la forte probabilité qu'un autre acteur de marché participerait aux enchères litigieuses, sans qu'il y ait lieu de se concerter, il n'en demeure pas moins que seule la participation de la société Equinor était de nature à lui garantir le résultat recherché, quels que fussent les comportements de tiers.
En!n si la société Equinor soutient que le comportement de la société Danske ne peut être invoqué à son égard, puisqu'elle n'en est pas responsable, le comité relève que la preuve d'une action concertée ne doit pas être rapportée à l'encontre de chacune des deux personnes mises en cause isolément mais compte tenu de leur comportement global et conjoint.
La concertation des personnes mises en cause ayant conduit à la congestion des enchères de capacité annuelle au PIR Pirineos pour les années gazières 2019-2020 et 2020-2021, il en résulte que le prix des capacités intra-annuelle a été, pour ces années, arti!ciellement amputé du montant des multiplicateurs tarifaires. La société Danske n'est dès lors pas fondée à soutenir que les prix congestionnés ne sont pas des prix « arti!ciels » puisque ceux-ci ne résultent pas, contrairement à ce qu'elle prétend, de la structure du marché telle qu'établie au moment des faits par le cadre régulatoire tarif ATRT, mais ont été causé par l'action, positive, concertée et réitérée à deux reprise, des sociétés Equinor et Danske.
Si la société Equinor soutienne que la réservation 1 kwh/h aux enchères litigieuses ne pouvait pas avoir d'effet sur le marché en cause, au regard de sa modicité, une action constitutive d'une manipulation de marché peut parfaitement résulter, comme en l'espèce d'une intervention qui est sans rapport de proportion avec l'avantage recherché. le volume sur lequel portent les actes reprochés est donc dénué d'incidence sur leur quali!cation.
Il résulte de ce faisceau d'indices graves, précis et concordants, et non in!rmé par les sociétés, qu'elles ont été les auteurs d'une action concertée.
Comme il a été énoncé, les personnes mises en cause doivent démontrer que les raisons qui les ont poussées à adopter le comportement reproché sont légitimes et que celui-ci est conforme aux AMP sur le marché de gros de l'énergie.
En premier lieu, les deux personnes mises en cause échouent à démontrer que leur comportement était légitime.
D'une part, il a déjà été établi que la société Danske ne parvenait pas à établir caractère non authentique de ses réservations.
D'autre part, la société Equinor ne nie pas le fait que l'obligation « d'activer », par la réservation de capacité, le contrat […] pour maintenir son accès au marché gazier espagnol, n'existait plus au moment des faits reprochés. Elle se limite à invoquer le fait qu'elle n'avait pas la bonne compréhension de cette obligation à l'époque des faits. Cependant, il résulte de l'instruction qu'elle s'est bornée à demander à la société Enagas si une réservation de capacité minimale était nécessaire pour disposer du statut d'expéditeur de gaz mais n'a pas demandé à cette société si une réservation de capacité minimale était nécessaire pour accéder à la plateforme SLT-ATR, alors qu'il lui appartenait, en tant qu'acteur de marché avisé, de se renseigner sur le fait de savoir si cette obligation était encore en vigueur. Contrairement à ce qu'elle soutient, la réponse qui lui a été apportée par le courrier électronique du 16 avril 2018 sur le statut d'expéditeur de gaz, constituait une indication forte que leur compréhension de leur prétendue obligation de réservation de capacité minimale était devenue erronée. Or à la suite de cette réponse la société Equinor, s'est bornée à maintenir sa pratique sans demander davantage d'information. Le maintien de cette pratique de réservation de capacité minimale a ensuite été justi!ée, dans des échanges entre des salariés de la société Equinor, par la volonté de préserver la con!dentialité d'un contrat conclu avec une société tierce. En!n, à l'occasion de la présente procédure, la société Equinor se prévaut à nouveau d'une prétendue obligation de réserver une capacité minimale pour avoir accès à la plateforme SLT-ATR. Dans ces conditions, les justi!cations invoquées par la société Equinor ne sont pas de nature à justi!er son comportement. Le comité relève que ce n'est qu'après l'ouverture de l'enquête qu'elle a immédiatement abandonné cette pratique.
La circonstance alléguée par la société que la procédure applicable […] imposait, pour avoir accès au marché gazier, en sus de la conclusion d'un contrat, son « activation » par la réservation de capacités, à la supposer établie, est sans incidence sur l'appréciation du comité.
En second lieu, et sans qu'il soit d'ailleurs nécessaire de procéder à la véri!cation de la seconde condition, celles-ci étant cumulatives, il peut toutefois être relevé qu'il n'est pas rapporté la preuve que par l'une ou l'autre des personnes mises en cause, que leurs comportements respectifs seraient conformes aux AMP, celles-ci se contentant de l'af!rmer par principe sans en justi!er.
En conséquence, est retenu à l'encontre des sociétés Danske et Equinor, en raison de leurs réservations de capacités annuelles lors des premiers tours des enchères litigieuses, le manquement à l'article 5 du règlement REMIT de manipulation de marché au sens de l'article 2(2), a, ii dudit règlement.
En application des dispositions de l'article 18 du règlement REMIT, « Les Etats membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations du présent règlement et prennent toute mesure nécessaire pour en assurer la mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être ef!caces, proportionnées et dissuasives et tenir compte de la nature, de la durée et de la gravité de l'infraction, du préjudice causé aux consommateurs et des gains potentiels tirés de la transaction sur la base d'informations privilégiées et d'une manipulation du marché ».
En application des dispositions de l'article L. 134-27 du code de l'énergie, dans sa version en vigueur au moment des faits telle qu'issue de la loi no 2013-312 du 15 avril 2013, le comité de règlement des différends et des sanctions peut prononcer, en fonction de la gravité du manquement :
« 1 oSoit une interdiction temporaire d'accès aux réseaux, ouvrages et installations mentionnés à l'article L. 134-19 pour une durée n'excédant pas un an ;
« 2 oSoit, si le manquement n'est pas constitutif d'une infraction pénale, une sanction pécuniaire, dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à la situation de l'intéressé, à l'ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés.
« Ce montant ne peut excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos, porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation dans le cas d'un manquement aux obligations de transmission d'informations ou de documents ou à l'obligation de donner accès à la comptabilité, ainsi qu'aux informations économiques, !nancières et sociales prévues à l'article L. 135-1. A défaut d'activité permettant de déterminer ce plafond, le montant de la sanction ne peut excéder 100 000 euros, porté à 250 000 euros en cas de nouvelle violation de la même obligation.
« Dans le cas des autres manquements, il ne peut excéder 8 % du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos, porté à 10 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. A défaut d'activité permettant de déterminer ce plafond, le montant de la sanction ne peut excéder 150 000 euros, porté à 375 000 euros en cas de nouvelle violation de la même obligation.
« Si le manquement a déjà fait l'objet d'une sanction pécuniaire au titre d'une autre législation, la sanction pécuniaire éventuellement prononcée par le comité est limitée de sorte que le montant global des sanctions pécuniaires ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues » (soulignement ajouté).
Il résulte de ces dispositions que le maximum légal de 8 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos s'applique à une manipulation de marché au sens de l'article 5 du règlement REMIT.
En l'espèce, il ressort des derniers comptes publiés des sociétés Danske et Equinor, lesquels sont relatifs aux exercices clos au titre de l'année 2023, que les chiffres d'affaires hors taxes réalisés lors de ces exercices sont de 3.046.453.000 euros pour la société Danske et de 62.286.000.000 dollars pour la société Equinor, soit, en application du taux de change annuel moyen entre ces devises (1,08159), d'un montant de 67.367.914.740 euros.
Par suite, les montants maximums des sanctions pécuniaires pouvant être in!igées s'élèvent à 243.716.240 euros pour la société Danske et 5.389.433.179 euros pour la société Equinor.
A titre liminaire, la société Equinor soutient que le comité ne peut se fonder, s'agissant des critères à prendre en compte pour l'évaluation du montant de la sanction, ni sur l'atteinte au marché ni sur le caractère intentionnel du comportement reproché mais seulement sur « l'ampleur du dommage » tel que prévu par l'article L. 134-27 du code de l'énergie dans sa version en vigueur à l'époque des faits.
Cependant, dès lors que, dans le cadre de son pouvoir de sanction, le comité fonde son appréciation sur les seuls principes applicables en la matière issus du règlement REMIT et des dispositions précitées du code de l'énergie, ce moyen ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
Le comité rappelle que le règlement REMIT poursuit une !nalité d'ordre public économique au sein de l'Union, notamment pour prévenir et, le cas échant, réprimer les manipulations de marchés qui sont de nature tant à entraver le libre fonctionnement du marché que de tromper les acteurs présents au cours de la période concernée sur l'état de l'offre et de la demande sur la plateforme PRISMA.
Les sociétés Danske et Equinor ont, par leur action concertée, commis une manipulation sur le marché des capacités annuelles de gaz naturel entre la France et l'Espagne. La gravité intrinsèque, au regard des dispositions du règlement REMIT, du manquement de manipulation de marché est accrue, en l'espèce, par le caractère intentionnel de ce manquement, et par sa réitération, puisqu'il a été constaté à deux reprises, lors des enchères du 1 er juillet 2019 puis, de nouveau, lors des enchères du 6 juillet 2020.
Le règlement REMIT, qui dé!nit et réprime le manquement de manipulation de marché, est entré en vigueur depuis le 28 décembre 2011. Ce règlement était donc en vigueur depuis plus de sept ans lorsque les premiers manquements reprochés aux sociétés Danske et Equinor ont été commis.
En!n, les agissements reprochés aux personnes mises en cause sont d'autant plus graves qu'ils ont porté atteinte au mécanisme tarifaire des enchères de capacité gazière, lequel est essentiel pour la régulation du secteur du gaz naturel en France puisqu'il permet d'assurer la stabilité du marché, en poussant ses acteurs à atteindre un équilibre entre l'acquisition de capacités de court terme, et de long terme, en prévenant la survenance de !uctuations des !ux de capacité et, ainsi d'assurer la sécurité d'approvisionnement en gaz de la France, sans que les personnes mises en cause ne soient fondées à alléguer que le cadre régulatoire, dont elles ont sciemment détourné les mécanismes incitatifs à des !ns de pro!t, aurait été défaillant.
La société Danske soutient que, au moment des faits, sa place sur les marchés gaziers européens était loin d'être prépondérante et que son revenu annuel, inférieurs à ceux annoncés par la membre désignée, n'était que de 800 millions d'euros en 2018 et 2019. Elle ajoute qu'en 2023, elle ne représentait pas plus de […] du volume échangé dans les principaux hubs gaziers européens et, dans la plupart des cas, sa part était nettement inférieure seulement […] au PVB en Espagne et […] au PEG en France.
Toutefois, les deux personnes mises en cause sont, compte tenu de leurs moyens !nanciers, leurs effectifs, leur prépondérance sur leurs marchés énergétiques réciproques, en Norvège et au Danemark, et plus généralement, leur place sur les marchés énergétiques à l'internationale, des acteurs importants sur différents marchés de gros dans le secteur de l'énergie en Europe, et en particulier sur les marchés gaziers.
Il ressort également du dossier qu'elles sont en outre des acteurs de marché avertis, devant nécessairement avoir connaissance du fonctionnement du dispositif des enchères de capacités au PIR Pirineos et des enjeux du mécanisme des multiplicateurs tarifaires.
Il en résulte une intensité particulière de leur obligation d'attention au respect des normes applicables à leurs activités.
Bien que les personnes mises en cause allèguent avoir fait leurs meilleurs efforts pour mettre en place des dispositifs de nature à prévenir les atteintes au règlement REMIT, ceux-ci ont été insuf!sants ou sciemment méconnus puisque les sociétés Danske et Equinor ont pu se coordonner pour contrevenir à ses dispositions.
Dans la mesure où il résulte du dossier que l'avantage retiré par la société Danske des prix congestionnés, estimé, par le procès-verbal, à [entre 500 000 et 1,5 millions d'euros] et, par le rapport d'un consultant, à [entre 100 000 et 500 000 euros], il est établi que cette dernière a tiré un béné!ce direct et non négligeable des opérations, effectuées conjointement avec la société Equinor, lors des enchères litigieuses.
En revanche, bien que la société Danske soit détenue à 100 % par la société Equinor, et que celle-ci ait pu tirer un béné!ce indirect des opérations effectuées conjointement par la société Danske et elle-même, lors des enchères litigieuses, le comité constate qu'aucun élément du dossier ne permet de l'attester. Pour cette raison, à l'instar de ce qui a été proposé par la membre désignée, le montant de la sanction pécuniaire in!igé à la société Equinor doit être inférieur à celui prononcé à l'encontre de la société Danske.
Compte tenu de l'ensemble des éléments d'appréciation de la sanction exposé ci-dessus, il y a lieu de prononcer une sanction pécuniaire de huit millions d'euros (8.000.000 €) à l'encontre de la société Danske et une sanction pécuniaire de quatre millions d'euros (4.000.000 €) à l'encontre de la société Equinor.
Par ailleurs, eu égard aux exigences d'intérêt général qui s'attachent à ce que la présente décision soit connue de l'ensemble des acteurs du marché de l'énergie, notamment pour restaurer la con!ance des acteurs envers le marché et son bon fonctionnement, mais aussi pour avertir l'ensemble des acteurs de la rigoureuse nécessité de se conformer aux exigences posées par le règlement REMIT et de la détermination tant de l'autorité de régulation que du CORDIS d'en poursuivre avec constance et fermeté la défense, le comité décide, pour ces motifs, de publier la présente décision, sous réserve des secrets protégés par la loi, au Journal of!ciel de la République française et sur le site internet de la Commission de régulation de l'énergie, sans anonymisation des sociétés sanctionnées pendant une durée d'un an à compter de sa première publication.
Il y a également lieu, pour les mêmes motifs, pour les sociétés Danske et Equinor, de procéder à la publication intégrale de la présente décision, à leurs frais, selon des modalités dont il sera rendu compte au comité, dans chacun des premiers prochains communiqués !nanciers de ces sociétés, qui devront également contenir, de manière apparente, la mention suivante en langue française, également traduite en langue anglaise et, pour chacune ce qui la concerne, en langues norvégienne et danoise : « Les sociétés Danske Commodities A/S et Equinor ASA ont été condamnées, par une décision no 08-40-23 de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 20 janvier 2025, au titre de la méconnaissance de l'article 5 du règlement REMIT qui prohibe les manipulations de marché, au paiement de sanctions pécuniaires, dont les montants s'élèvent à huit millions d'euros (8.000.000 €) pour la société Danske Commodities A/S et quatre millions d'euros (4.000.000 €) pour la société Equinor ASA, pour des manipulations commises sur le marché de gros en 2019 et en 2020, en ce qui concerne les capacités de transport de gaz naturel entre la France et l'Espagne » et d'insérer sur la page d'accueil de leurs sites internet respectifs (https://www.equinor.com/ et https://danskecommodities.com/), de manière apparente, pendant une durée de trois mois à compter de la date à laquelle le CoRDiS aura été informé par ces sociétés de cette publication, un bandeau contenant la mention sus décrite, en caractère gras et en rouge, sur fond blanc.
* * *
Art. 1er . – Les sociétés Danske et Equinor ont méconnu l'article 5 du règlement REMIT.
Art. 2. – Une sanction pécuniaire de huit millions d'euros (8.000.000 €) est prononcée à l'encontre de la société Danske ; une sanction pécuniaire de quatre millions d'euros (4.000.000 €) est prononcée à l'encontre de la société Equinor.
Art. 3. – La présente décision sera publiée, sous réserve des secrets protégés par la loi, au Journal of!ciel de la République française sans anonymisation de l'identité des sociétés sanctionnées et sur le site internet de la Commission de régulation de l'énergie sans anonymisation des sociétés sanctionnées pendant une durée d'un an à compter de sa première publication.
Art. 4. – Il y a lieu d'enjoindre aux sociétés Danske et Equinor de procéder aux publications telles que précisées au point 94 de la présente décision.
Art. 5. – La présente décision sera noti!ée aux sociétés Danske et Equinor.
Copie de la présente décision sera adressée à la présidente de la Commission de régulation de l'énergie. Fait à Paris, le 20 janvier 2025.
Pour le comité de règlement des différends et des sanctions : Le président, T. TUOT
(4) […]
(5) CRE, délibération du 15 décembre 2016 portant décision sur le tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel de GRTgaz et de TIGF ; CRE, délibération no 2020-012 du 23 janvier 2020 portant décision sur le tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel de GRTgaz et Teréga.
(6) CE, 2 février 2022, no 438866, points 12 et 13.
(7) Onglet « Brainstorm list », cellule F16.
(1) L'article L. 135-3 du code de l'énergie dispose : « Les agents de la Commission de régulation de l'énergie habilités à cet effet par le président procèdent aux enquêtes nécessaires pour l'accomplissement des missions con!ées à la commission. (…) ».
(2) L'article L. 134-25-1 du code de l'énergie dispose que : « Dès réception de la demande de sanction, sauf cas d'irrecevabilité manifeste, le président du comité de règlement des différends et des sanctions désigne un membre de ce comité, titulaire ou suppléant, chargé de l'instruction avec le concours des agents de la Commission de régulation de l'énergie. […] ».
(3) L'article R. 134-20 du code de l'énergie dispose que : « Pour chaque affaire, le président du comité de règlement des différends et des sanctions désigne un membre de ce comité chargé, avec le concours des agents de la Commission de régulation de l'énergie, de l'instruction. Le cas échéant, ce membre adresse la mise en demeure prévue à l'article L. 134-26 et noti!e les griefs. Il peut ne pas donner suite à la saisine. […] ».
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